En Tunisie, le marché de l’armement et de l’équipement militaire est très mal connu du grand public. Régi par un monopole d’État, le secteur a aussi vu émerger une poignée d’acteurs privés. Jied Aouij, directeur Général de FEMCO Ltd, est l’un des rares commerçants tunisiens d’équipement militaire à accepter de s’exprimer sur son métier.
Sous sa direction, son entreprise est devenue leader en Tunisie dans le domaine. Le groupe est même parvenu à acquérir une dimension internationale, en conseillant plusieurs instances dans le domaine de la sécurité et de la défense, et en tissant de solides liens avec les ministères de la Défense et de l’Intérieur tunisiens. Objectif affiché de Jied Aouij désormais : « étendre les activités de FEMCO sur le continent africain » et « participer à relever les défis de la défense nationale et régionale ». Entretien.
En Tunisie, quel est le cadre légal qui régit vos activités, c’est-à-dire l’achat et la vente d’armes ?
« Il s’agit de la Loi n° 69-33 du 12 Juin 1969, qui reste la norme encadrant le commerce d’armes en Tunisie. Elle interdit strictement l’exportation, l’importation, et la cession à titre onéreux ou gratuit des armes de guerre.
Des autorisations peuvent être accordées par le Secrétaire d’Etat à l’Intérieur, après avis du Ministre de la Défense Nationale. De fait, cela signifie qu’aucune entreprise tunisienne ne peut importer ou vendre de l’équipement militaire sans l’autorisation de l’Etat, qui maintient donc un monopole strict sur ces importations.
Cette loi, plutôt ancienne, gagnerait-elle à être modernisée sur certains points ?
La loi de 1969 définit cinq catégories d’armes, et une comparaison avec la législation d’autres pays comme la France montre que ces catégories sont moins détaillées en Tunisie. Introduire plus de détail et de modernité dans ces catégories pourrait rendre la réglementation plus précise et adaptée aux nouvelles technologies et types d’armements.
Il faut aussi garder en tête qu’avant 2011, le cadre légal pour le commerce d’armes en Tunisie était encore plus contraignant. Bien qu’il n’y ait pas eu de révision de la loi à proprement parler, nous nous sommes dans les faits adaptés aux nouveaux défis et besoins en matière de sécurité nationale.
Faudrait-il aussi mieux prévoir les dépenses de défense à long terme, avec une loi de programmation militaire (LPM) par exemple ?
Effectivement, les LPM n’existent pas encore en Tunisie. Ce type de loi pourrait structurer et planifier à long terme les investissements et les développements nécessaires pour la défense nationale, assurant une allocation plus efficiente des ressources. Cependant, le Ministère de la Défense, et plus particulièrement la Direction Générale des Munitions et Armement (DGMA), composée d’ingénieurs en armement dont les compétences sont reconnues mondialement, dispose déjà d’un programme d’achats anticipé. Ils connaissent précisément leurs besoins et ce qu’ils vont acheter pour l’année prochaine et les années à venir. L’armée tunisienne est exemplaire, très structuré et très professionnelle. Les compétences et la volonté sont là, mais les moyens financiers manquent dû à la crise que traverse notre pays.
Par rapport aux autres pays du Maghreb, comment se positionne la Tunisie en termes d’achats et de ventes d’équipement militaire ?
Il y a d’abord un retard dans les importations d’armes en Tunisie [par rapport aux autres pays d’Afrique du Nord, NDLR].
Il peut s’expliquer par une politique de neutralité et de non-alignement historique, ainsi que par des priorités budgétaires orientées vers d’autres secteurs. Il y a aussi eu une augmentation des importations depuis 2011, liée aux changements politiques internes et aux tensions régionales croissantes, nécessitant un renforcement des capacités militaires pour garantir la sécurité nationale.
En termes d’exportations, la loi tunisienne interdit effectivement la production et la vente d’armes létales par des entreprises locales à l’étranger. Toutefois, il existe des producteurs tunisiens d’équipement militaire non létal, comme des vêtements de protection et des équipements de soutien. Comparés à la Tunisie, des pays comme l’Algérie et le Maroc ont des industries de défense plus développées. Cela est dû à des investissements plus importants et à des politiques favorisant le développement de capacités de production locale.
Pour se positionner sur le marché de l’armement, quels sont les atouts et les carences de la Tunisie ?
Les atouts de la Tunisie incluent une position stratégique en Méditerranée et une tradition de neutralité, favorisant des partenariats avec divers pays. Ses défauts pourraient inclure des ressources limitées et une infrastructure industrielle de défense moins développée. Globalement, la perception publique des armes en Tunisie est variée. Beaucoup voient les armes à feu comme nécessaires pour la sécurité nationale et la défense personnelle, tandis que d’autres sont préoccupés par les risques potentiels de violence et d’instabilité.
Entretien réalisé par Driss Rejichi